Retour au Festival du Mot.

Le fameux autant que sympathique Festival du Mot (1) se lançait ce mercredi 30 mai jusqu’au dimanche 3 juin, malgré les difficultés budgétaires. Le principe reste le même, une alternance de spectacles payants et de conférences ou animations gratuites autour du mot, réparties en divers lieux de la ville et notamment les superbes salles du prieuré clunisien et de l’abbatiale. Zone étendue cette fois jusqu’au café -concert de la Goguette, sur l’île posée au milieu de la Loire et reliée à la ville par un superbe Vieux-Pont refait à neuf.

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Un élément inchangé reste les interventions de la mascotte du festival, Vincent Roca, chaque jour à 12h30 sur les marches du prieuré, à chaque fois construites autour d’un mot spécifique. Cette année nous avons eu droit à « traîtrise » et à « alcool », entre autres. Une demi-heure quotidienne de jeux de mots à savourer sans modération.

Le succès d’un festival étant assez dépendant de la météo, après un mercredi et jeudi mitigés ce fut plutôt grand beau les trois jours suivants, les orages et la pluie reprenant possession des lieux lors du spectacle de clôture le dimanche à 17h, un superbe numéro de « concert jonglé » avec la compagnie Poc. Salle comble et gros succès pour un spectacle… sans mots.

Vu la densité du programme il n’est possible de voir qu’une partie de l’offre, d’autant que prendre son temps sur les petites terrasses des cafés, à regarder passer la faune des festivaliers, ne manque pas non plus de charme. J’aurais bien voulu assister à la conférence sur la diplomatie par Frédéric Encel le vendredi matin, mais nous nous sommes rattrapés avec l’excellent documentaire « Nous, princesses de Clèves », de Régis Sauder, où l’on partage quelques impressions de la vie de lycéens des quartiers Nord de Marseille. Leurs espoirs – ou pas – s’ils réussissent le bac, leurs relations sociales, familiales et amoureuses, avec pour lien un travail en commun sur la Princesse de Clèves. Livre qui n’est pas sans parallèles avec la vie actuelle de pas mal de ces jeunes, obligés pour certains – et surtout certaines – de se débattre dans un milieu culturel à peu près aussi conservateur et hypocrite que celui de la cour de Henri II au XVI ème siècle.

S’ensuivit une promenade dans les mots francophones, animée par le spécialiste des dictionnaires Jean Pruvost, qui nous retrace l’histoire et l’usage de mots tels jactance, griot, bagou ou placoter, entre autres. Toujours intéressant, comme le fût sa conférence de l’an dernier sur les mots français d’origine arabe (2). Un peu plus tard se donnait, dans la belle salle capitulaire, la pièce « Fragments » où Caroline Ducey incarne une Marilyn Monroe que l’on (re)découvre à travers ses écrits intimes: le portrait d’une femme fragile en proie à ses peurs et ses doutes, pour se retrouver enfermée dans un hôpital psychiatrique. Sensible et bien mené, pour moi manquaient les sentiments de Marilyn par rapport aux puissants qu’elle côtoyait, comme si JFK n’avait pas existé. Spectacle en concurrence avec celui de François Rollin, le Roi Loth de Kamelot et co-créateur des Guignols de l’Info. Ça ne devait pas être mal non plus…


Samedi matin, n’ayant pas eu le courage de se lever aux aurores pour espérer avoir une place au « P’tit déj’ de Mots », vu les places très comptées du cellier de l’abbaye, nous avons débuté par une conférence sur l’insulte: origine, sens et détournements des insultes communes, de « salope » et « PD » à « thon » et « intello » en passant par « cochonne » et « impuissant », par Laurence Rosier de l’Université Libre de Bruxelles. Une compatriote avec laquelle je partage le référent de base, en termes d’insultes, qu’est le Capitaine Haddock, et où j’apprends que certaines de ses insultes originelles ont été expurgées car devenues politiquement incorrectes. C’est sans doute une caractéristique de notre époque que de vouloir juger toute oeuvre antérieure à l’aune du moralisme contemporain. Cela dit le ministère de l’Intérieur fait clairement son possible, depuis pas mal d’années, pour faire réhabiliter Tintin au Congo dans sa version originelle. Bref.

J’aurais bien assisté au spectacle « Banque Centrale » avec Franck Chevallay, mais l’option « omniprésence » n’étant pas disponible en billetterie nous nous sommes rabattus sur la conférence de Philippe Frémaux, « L’économie autrement », une visite guidée des différentes branches de l’économie non orthodoxe: Economie sociale et solidaire, économie de fonctionnalité, circulaire, du partage… Ces termes décrivent des spécificités qu’il ne faut pas mélanger, chacune s’adressant à une problématique délaissée, sinon engendrée, par le dogme néo-libéral et la technocratie. Philippe Frémaux est journaliste de longue date à Alternatives Economiques, un journal structuré en coopérative.

En milieu d’après-midi une conférence sur laquelle j’avais fondé l’espoir de quelques étonnements: « Astronomie et Astrologie », par l’astrophysicien Daniel Kunth. Il démontre via un certain nombre de tests et d’études que la capacité prédictive de l’astrologie est nulle, et que son histoire ancrée dans les débuts de l’astronomie, voici quelques 6 000 ans, la maintenait à un niveau de croyance en concurrence avec, notamment, le créationnisme. Rien de bien neuf là-dedans d’autant que le seul test réellement intéressant, qui serait de comparer un thème donné, en aveugle, par un astrologue avec la vie réelle de la personne concernée, et répété pour un grand nombre de personnes, ne semble pas avoir été fait. Aux dires d’autres festivaliers croisés et recroisés, nous aurions mieux fait de relire le thème du programme et d’assister au spectacle Apollinaire: mots d’amour et de guerre. L’histoire d’un amour à distance entre Apollinaire et Madeleine Pagès, apparemment très joliment interprété.

En soirée, point d’orgue de l’offre théâtrale du festival: L’Ode Maritime de Fernando Pessoa, jouée par Stanislas Roquette. Superbe interprétation où nous devenons tous, l’espace d’un moment, de cruels pirates croquant la vie et la mort à pleines dents, avant de recouvrer notre réalité de petits besogneux réduits à trouver de la poésie dans un document bureaucratique. Brillant.

Au milieu de tout cela, une très chouette expo dans les salles dites du XVIII ème: les affiches de Mai 68 et celles créées pour Mai 2018 par des étudiants en arts plastiques. L’imagination reste au pouvoir, au moins le temps d’un week-end dont le dimanche débuta par un choix cornélien entre une conférence sur les origines de l’Homme, un spectacle sur Prévert, et une conférence sur les mécanismes de la voix: « La voix et soi, ce que notre voix dit de nous ». Va pour la voix, avec Joana Revis qui nous mène sur la voie de la compréhension de l’origine des sons vocaux, la complexité du système vocal, et les éléments qui nous permettent de déduire tant de choses à l’écoute de la voix d’un.e inconnu.e. Très intéressant.

L’après-midi nous avons opté en dernière minute pour la pièce Quichotte y Panza, présentée comme un dialogue sensible et drôle entre Don Quichotte et Sancho Panza, là où deux imaginaires s’entrechoquent. Je n’y fut pas très sensible, la pièce étant peu drôle, lente et décousue. Des bribes de conversations ici et là d’autres spectateurs apportèrent de l’eau au moulin de cette opinion, dommage car fondamentalement le texte est très bien. La chose fut vite oubliée grâce à la prouesse et à l’humour de la compagnie Poc et sa jonglerie rythmique dont je parlais au début de ce billet.

Le festival proposait également un « off », avec notamment un concert-repas le samedi soir autour du répertoire de Bobby Lapointe. Plusieurs bars et restaurants s’associent au festival et sont répertoriés dans le programme, et tous les festivaliers sont invités à arborer un gros pin’s bleu avec un mot, pin’s distribués gratuitement. Et pour finir, en introduction du dernier spectacle, le président Marc Lecarpentier proposait aux festivaliers de s’approprier les affiches avec rébus placardées un peu partout en ville. Vu la flotte qui tombait à la sortie il fallait vraiment le vouloir, mais malgré tout ce matin en partant j’ai dù prendre la dernière encore disponible, vers le haut de la ville!

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Encore un très sympathique week-end à la Charité, merci à l’organisation et espérons que le Festival du Mot reviendra l’an prochain, en bonne santé et, si j’ai bien compris, avec un nouveau ou une nouvelle président.e!
Notes:

(1) http://www.festivaldumot.fr/

(2) https://zerhubarbeblog.wordpress.com/2017/05/29/rencontre-avec-le-festival-du-mot/

 

2 commentaires

  1. J’apprends que l’association « Mot et Mots », à l’origine de l’événement voici 13 ans, jette l’éponge. Visiblement en conflit avec la Cité du Mot, qui récupère le festival.

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