Echappée en Septembre Imaginaire.

Deux yeux pétillants se frayent un passage entre le masque coloré et le bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles. Ni la pluie et le froid soudain, ni l’absurde covidien n’auront eu raison de ces sourires trop souvent cachés, de ces musiques et de ces voix que la dictature sanitaire voudrait faire taire à jamais.

Oui la vida es bella, malgré tout, comme le chante Marie Fraschina soutenue par l’ensemble musical La Ciaccona. Ca me prend aux tripes et je me cache derrière l’œilleton de mon appareil photo. Concentration. De moi dépendent les traces visuelles et sonores de ces instants, ces traces d’une vie improductive encore tolérée par l’horreur technocratique dont le poids pèse, telle une absurde haltèrité, sur l’échine des bonnes volontés.

La salle médiévale est à moitié occupée, Covide de la pensée oblige. Les gens masqués et espacés, certain.e.s seul.e.s entre deux chaises vides, font écho aux ruelles abandonnées à la pluie et au froid. Mais là, maintenant, la note de musique, quoique bientôt interdite après 22h sur ordre de la note de service, ouvre les portes vers Septembre Imaginaire.

L’archet viole la gambe à toute volée pendant que le tambourin bat la mesure, la flutiste hautbois dormant berce la Reine des fées pendant qu’Obéron boit des bières et chante Purcell et ceux qui ont soif. Un visage féminin sorti d’un épisode de Buster Keaton nous mène d’une pièce de Monnaie à l’autre, quand tout à coup une musique expérimentale du XXIème siècle fige l’orchestre au XVIIème. Comme quoi le rythme n’est pas nécessairement la démesure du progrès.

La pluie mouille les sacs de course des gens qui se dépêchent. Une demi batterie attend là, sous l’arche encadrant quelques restes d’une Abbaye millénaire, pendant que son batteur prend l’autre demi au bar de la Louise, là où se sert encore et toujours la fameuse Clunylingus de célèbre mémoire (1).

La voix de la poétesse se fraye un passage entre les gouttelettes, virales bien entendu, que le puissant saxophone d’un Lambert de retour repousse au large. Les gens sous parapluie traversent le cordon musical, même pas impressionnés par la batterie qui bombarde et le saxo qui saxonne. La vie s’accroche sur ces pavés mouillés marqués du temps qui passe, du fer croisé qui repasse et des idoles masquées qui trépassent.

Sous le soleil argentin narguant la pluie bourguignonne, une princesse s’avance. On imagine alors Septembre bercé du folklore de l’Amérique latine que son guitariste de Prince caresse de ses cordes nouées. Puis, le rythme s’éprend et il passe à la guitare baroque’n roll le temps d’un morceau de bravoure.  

Non, je n’ai pas de bombe à déclarer à l’entrée de ce site siglé CMN, et non cela ne m’intéresse pas de décliner mon adresse électronique pour le traçage des cas contacts. Les petites cymbales pendent telles des stalactites dans le froid du Farinier. On dirait presque que le givre recouvre les tubes sonores de l’autel percussionniste. C’est encore une autre porte d’un Septembre imaginaire qui s’ouvre ici, un univers où quelques accents grégoriens se mêlent à une musique ancienne revisitée aux sons de la clarinette et des cuirs brossés. 

Un bœuf était initialement prévu, ce midi sous le soleil d’automne, mais c’était purement imaginaire. Du bœuf artisanal en extérieur l’on passa alors à la brochette d’artistes en intérieur et, ma foi, la chaleur ne manqua pas malgré l’interdiction de mettre le feu au tas de bûches.

La pluie et le rideau sont tombés, ce soir, sur Septembre Imaginaire. Les trains ramènent les cœurs gonflés au royaume des zombies covidiens, des ayatollahs du masque et des nouveaux soviétiques férus de dégradés de rouge. Mais il ne faut pas laisser les gradés de la bêtise nous dégrader la vie, qu’elle dure ou pas. Surtout si elle ne dure pas. La vida es bella.

Et pour le prouver, ces quelques portraits pris à la volée:

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Notes:

(1) Cluny, aux alentours de l’an 1140. Le philosophe et linguiste Abélard, castré par l’Eglise suite à ses amours secrets avec la belle et intelligente Héloïse, se meurt auprès de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. A quelques lieues de là, sur les hauts de Montplaisir, une religieuse du nom de Mac Hullot, originaire de Paisley, en Ecosse, prend les rênes d’une petite abbaye réservées aux femmes. Peu de temps après, l’Abbesse Mac Hullot recueille, à la demande secrète de Pierre le Vénérable, une femme recherchant pénitence avant la mort. C’est Héloïse. Expulsée de son couvent champenois, elle se confesse auprès de l’Abbesse Mac Hullot de ses pêchés de chair avec Abélard, et lui révèle le miracle qui révolutionnera l’avenir de la femme: Abélard, notoirement amoindri en ses capacités physiques mais toujours désireux de satisfaire sa belle, développa, lors de leurs dernières rencontres cachées au sein de quelques granges clunisiennes, une technique proprement linguistique du plaisir amoureux. La Clunylingus était née. 

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